Une année pas comme les autres à l’Ecole du Bayon

Une année pas comme les autres à l’Ecole du Bayon

L’année 2020 se termine et avec elle, le cycle scolaire de notre école primaire et de notre école de boulangerie/pâtisserie. C’était une année compliquée. Une année qui a mis nos élèves, nos étudiantes et nos équipes à rude épreuve. Une année où nous avons dû nous adapter, nous renouveler et agir vite pour faire face à une crise dont personne ne pouvait mesurer les impacts. Et même si la situation est loin d’être redevenue « normale », nous en sortons renforcés, enrichis et prêt à continuer notre action pour continuellement innover au service d’une meilleure éducation.

Des projets pour lancer l’année

En septembre 2019, à l’école de pâtisserie, nous accueillons notre 6ème promotion d’étudiantes avec 26 jeunes filles ; un nombre en constante augmentation depuis l’ouverture de l’école. Le nouveau laboratoire destiné à libérer de la place et à renforcer notre enseignement en boulangerie est en cours de finalisation et nous sommes heureux de pouvoir débuter l’année dans des conditions optimales pour former plus et mieux. En 2018/2019, nous avons atteints presque 55% d’autofinancement de l’école grâce aux recettes du Coffee Shop, et nous mettons tout en œuvre pour accueillir touristes et visiteurs pour faire mieux, sinon autant. L’enseignement en hygiène est revu avec une intervenante spécialiste de la sécurité alimentaire et les cours d’anglais sont renforcés avec le lancement d’un partenariat avec Australian Center for English.

pastry-student
des enfans mangent à la cantine

En octobre 2019, 232 élèves rejoignent les bancs de l’école primaire du Bayon, et 120 collégiens et lycéens poursuivent leurs études tout en étant accompagnés par nos équipes mensuellement pour un suivi pédagogique et social. Les enfants découvrent le nouveau petit déjeuner, servi à table dès 6h45 avec un repas chaud. Ils poursuivent leur scolarité enrichie d’un programme art-culture-sport qui se renforce avec des cours de marionnettes traditionnelles et 1h30 dédié à la pratique du sport chaque semaine. En février, 30 élèves participent au championnat sportif inter-écoles et décrochent 2 médailles. Une fierté pour tous ! Les cours de soutien pour les élèves en difficulté se poursuivent et le projet d’un bâtiment dédié à l’enseignement en petit groupe se précise.

En novembre 2019, trois nouvelles familles intègrent le projet potager ce qui portent à 11 le nombre de familles maraîchères du Bayon. 90% des légumes achetés à la cantine sont dorénavant organiques et permettent à ces femmes de dégager un revenu complémentaire.

La coopération avec l’association Pour un Sourire d’Enfant débute, nous lançons un grand chantier collaboratif pour créer un terrain d’expérimentation en agroécologie. Plantation d’arbres fruitiers et de plantes médicinales, construction de tables de culture hors sol, création d’un compost, installation d’un système d’arrosage, ce terrain accueillera notre future école d’agroécologie et ses 10 premiers étudiants en janvier 2021. Parallèlement, la formation de 10 mois des futurs professeurs en partenariat avec l’ONG Vivre de sa Terre débute et le curriculum est rédigé.

Une agricultrice montre ses cultures

Dès décembre 2019, les familles reçoivent la visite de nos équipes médicales et sociales pour évaluer leur situation sanitaire et leurs besoins médicaux. 156 familles sont rencontrées et interrogées et une importante étude permet de définir un plan d’action pour agir auprès de nos familles.

S’adapter face au Covid

Le 9 mars 2020, toutes les écoles du pays ferment leurs portes et fin mars, les derniers avions de rapatriement renvoient chez eux les ultimes touristes encore au Cambodge. Nos étudiantes retournent dans leur famille et nos élèves sont tenus à distance de l’école. Désemparés au début, nous réagissons vite pour venir en aide à nos familles qui vont devoir face à cette crise dont nous ne connaissons pas la durée.

enfant porte un masque à l'école
des légumes et du riz sont distribués aux familles

L’intégralité des légumes produits par les farmers est achetée par l’ONG et distribuée gratuitement chaque semaine aux familles de nos élèves qui ne sont plus nourris matin et soir au sein de la cantine. L’équipe sociale se rend sur le terrain et analyse l’impact du Covid sur nos familles : certaines, identifiées comme en grande difficulté, reçoivent du riz. L’enseignement à distance et en très petits groupes débutent dès avril et en juillet, nous recevons une donation de smartphones pour améliorer l’accès à des cours en ligne pour nos étudiantes. Les équipes débutent des chantiers nécessaires : refonte du site internet, peinture des murs du Coffee Shop, étude sur la situation de nos étudiantes alumnis, lancement d’une base de données qui rassemblent toutes les informations sociales, médicales et pédagogiques des élèves, formation pour les farmers et suivi précis des quantités de légumes qui ne font qu’augmenter.

tous les enfants de l'école primaire

Rebondir et avancer

Toutes ces actions mises en place ont permis de maintenir un suivi pédagogique, un accompagnement de nos familles et ainsi d’éviter un trop grand retard scolaire. Certaines familles sont retournées temporairement dans leur village d’origine pour travailler la terre car elles avaient perdu leur emploi. Les cambodgiens se montrent résilients et forts face à cette crise et nous espérons que l’activité économique et touristique pourra reprendre rapidement pour redonner un emploi à ceux qui en ont vraiment besoin.

photo de groupe de la 6ème promotion
Conséquences inattendues de la crise pour les farmers

Conséquences inattendues de la crise pour les farmers

Cela fait 2 ans et demi que j’ai rejoint l’équipe du Bayon. A mon arrivée nous avons démarré le projet des « potagers du Bayon ». Nous soutenons et accompagnons 11 familles parents ou grands-parents d’élèves de notre école primaire dans la création et le développement de potagers. Les légumes produits, bons pour la santé, sont vendus à la cantine de l’école et nourrissent chaque jour 250 élèves. Ces farmers sont toutes des femmes, cela n’était pas une volonté de notre part mais une réalité qui s’est imposée. 


 

En m’engageant dans ce projet, je savais qu’il faudrait donner du temps, de l’énergie, de la patience, de la persévérance. Mais jamais je n’aurais pu imaginer combien j’allais recevoir en retour de la part de ces 11 femmes. C’est énorme pour moi ! Bien qu’elles ne possèdent quasiment rien, vivent dans la misère et l’isolement, travaillent dur, soient confrontées à la maladie et aux deuils, elles ne sont que sourire, générosité, bienveillance, gratitude, empathie et courage. Une belle leçon de vie qui me donne souvent à réfléchir !

Une professeur forme les agriculteurs

Le projet avance pas à pas, au rythme du Cambodge. Ces femmes vivaient en marge de la société, souvent dépendantes financièrement de leurs enfants ; aujourd’hui, elles travaillent, produisent et gagnent de l’argent. Malgré la barrière de la langue, et le fait que je ne comprenne pas toujours ce qu’elles racontent, la fierté qu’elles dégagent saute aux yeux.

Dans les milieux ruraux, les jeunes cambodgiens sont généralement dans l’obligation de quitter le foyer familial pour trouver du travail dans des régions parfois éloignées. L’éclatement de ces foyers est contraire à la tradition khmère où la notion de famille au sens large est fondamentale. Culturellement, grands-parents, parents, enfants, belles-filles, gendres et petits-enfants vivent sous le même toit. Mais, lors de nos visites hebdomadaires dans les fermes, nous étions habitués à rencontrer ces femmes seules, avec pour unique compagnie, enfants et petits-enfants en bas âge, confiés par leurs parents.

La crise du Covid 19 et l’absence de touristes ont entrainé la perte de leur emploi pour beaucoup de jeunes qui sont revenus dans le giron familial. La vie de famille a repris dans les fermes ! Et ce retour des jeunes offre une nouvelle main d’œuvre non négligeable. Cela a eu pour conséquence l’agrandissement des fermes, l’augmentation de la production et le développement de nouvelles activités.

Ces femmes que nous formons depuis 2 ans aux méthodes de l’agroécologie, transmettent aujourd’hui leur savoir à leurs enfants et petits-enfants, les dirigent, les encadrent. Leur fierté est immense, elles ont pris la place de chef de famille et patronne de la ferme.


Ferme de Sem Chum : une nouvelle ambiance

Sem Chum est veuve. Elle est âgée de 57 ans, mère de 4 enfants, grand-mère de 3 petits-enfants. Dans sa ferme régnait une ambiance silencieuse que seul le chant des oiseaux venait troubler. Malgré la solitude et la dureté du travail qu’elle accomplit, elle nous accueille toujours avec un sourire rayonnant. Aujourd’hui ce sourire est encore plus franc et il s’accompagne d’une légitimité et d’une dignité auprès de ces proches.

Le silence a été remplacé par les rires des petits enfants, les discussions des plus grands, les marmites qui bouillonnent, le croassement des grenouilles, le nasillement des canards et le gloussement des poules. Les ordres et les conseils fusent pour le bon fonctionnement de la ferme familiale dans laquelle on sent une nouvelle effervescence ! Il y a trois mois, Sem Chum a vu revenir deux de ses fils avec femmes et enfants ainsi que sa dernière fille.

Sous la direction de notre farmer, cette nouvelle équipe familiale s’est mise à l’œuvre. Bien évidemment la production a explosé et de nouvelles activités ont été créées. Grace aux formations qu’elle a reçues et aux ressources humaines et pécuniaires aujourd’hui disponibles, Sem Chum et sa famille ont agrandi leur potager, démarré un élevage de grenouilles, de poules, de canards… Une étable est en cours de construction pour accueillir une vache. Ces nouvelles activités sont sources de revenus. Elles permettent aussi à la ferme de s’approcher de l’autosuffisance. De plus, la fiente des poules et des canards, et la bouse de vache qui étaient achetées pour confectionner le compost naturel, sont aujourd’hui disponibles sur place.


Et la suite ?

Malgré ces conséquences étonnantes, la production de produits organiques reste très à la marge au Cambodge. Près de la moitié des légumes consommés chaque jour sont importés des pays voisins, cependant le gouvernement pousse les coopératives locales à se développer notamment à travers de projets pilotes comme celui-ci. Les farmers soutenus par le Bayon sont entrés dans une phase de consolidation de leur production, il faut maintenant trouver des débouchés pour leurs légumes et encourager le marché de l’agriculture organique à Siem Reap.

Un grand merci à tous les volontaires impliqués dans le projet depuis le début : Marine, Paul, Léa, Camille, Soraya et Clémentine.