Marie Hooker, stagiaire du programme d’agroécologie est arrivée à Siem Reap fin août, au beau milieu de la saison des pluies. Elle nous explique ici les constats et enjeux qu’elle a remarqué lors de cette période si importante au Cambodge. 

Au Cambodge, le climat est tropical humide. Au cours de l’année, une saison sèche s’alterne avec une saison des pluies, durant laquelle tombent 80% des précipitations. Nous sortons tout juste de cette saison des pluies, qui s’étend de mai à novembre, et qui est d’une importance cruciale pour la production agricole.

Les agriculteurs cambodgiens sont habitués à vivre avec cette double saisonnalité, et ont développé des systèmes agricoles adaptés. Le riz, par exemple, est cultivé toute l’année selon des cycles de cultures de six mois, et les dates de semis et de récolte s’accordent avec les débuts de saison sèche et de saison des pluies. Ainsi la récolte s’effectue au bon taux d’humidité, permettant ensuite le stockage du riz pour les six prochains mois.

Pour les farmers que nous suivons, la saison des pluies est une période assez difficile. En effet, pour la production de légumes, le taux d’humidité devient trop important et les pluies battantes provoquent des dégâts sur les sols et les cultures. Elles connaissent donc une baisse de production au cours de cette période, d’autant plus cette année où l’effet a été amplifié par la crise sanitaire. Il est beaucoup plus facile de contrôler le système de culture en saison sèche, où moyennant un apport d’eau suffisant les légumes poussent sans difficulté.

J’ai pu observer directement sur les fermes de nos farmers les conséquences de la saison des pluies. La première, et la plus évidente, est l’inondation des jardins. Elles ont pour la plupart une partie de leur jardin qui est inondée pendant les deux derniers mois de la saison des pluies, entre septembre et novembre. C’est le cas chaque année et elles y sont préparées, mais elles ne disposent donc que d’une surface réduite pour cultiver sur cette période.

Autre conséquence directe, le taux d’humidité et les pluies récurrentes sont particulièrement propices au développement de maladies et de ravageurs sur les cultures. Il est fréquent que toute une culture meurt subitement des suites de l’attaque d’un champignon ou d’un insecte. Sans pesticides, il est très difficile de contrer ces attaques lorsqu’elles surviennent car nous ne disposons que de techniques préventives dont l’efficacité dépend de l’intégralité de la conduite agroécologique du jardin.

Les pluies diluviennes provoquent également des dégâts importants sur les sols. Un sol nu risque la formation d’une croûte de battance, c’est-à-dire un tassement en surface rendant la germination des graines difficile. Il risque également d’être érodé ou encore de perdre ses nutriments, entraînés par la pluie. Les semis sont particulièrement difficiles en cette période, à cause d’une part des croûtes de battance et d’autre part de la fragilité des jeunes plantules, qui ne résistent pas à la violence des pluies.

Face à toutes ces problématiques, nos agricultrices sont contraintes d’adapter leurs pratiques.

Elles effectuent leur semis sous des abris, elles sont plus attentives à l’émergence de maladies et sont plus prudentes quant aux types de légumes qu’elles souhaitent cultiver. Elles réagissent en se tournant vers des cultures plus faciles, qu’elles maîtrisent bien et qui sont moins sensibles aux développement de bactéries car l’erreur serait de continuer de produire des cultures sensibles et donc d’instaurer définitivement la maladie ou le ravageur dans le jardin.

L’agroécologie consiste à faire fonctionner le système agricole en accord avec les processus naturels, formant un tout. Ses principes offrent donc des solutions permettant de produire non pas malgré, mais avec la saison des pluies. Pour éviter l’érosion des sols, on va chercher à maintenir une couverture permanente du sol, avec par exemple des engrais verts. Ainsi on promeut la vie du sol, on améliore sa structure et on y apporte des nutriments qui seront utiles à la culture suivante. Pour éviter la prolifération des maladies, on cultive donc des variétés de plantes adaptées et diversifiées, qui augmentent ainsi la biodiversité de l’agroécosystème et améliorent nécessairement son fonctionnement en tant qu’écosystème. En permettant au jardin de fonctionner selon ces processus naturels, la saison des pluies n’est plus une contrainte mais un atout : c’est le moment de semer les engrais verts qui autrement auraient pris la place d’une culture, de collecter des jacinthes d’eau pour faire un compost, ou encore de diversifier son système de culture en cultivant des légumes adaptés.

Ces techniques peuvent sembler moins productives sur le moment, et il est parfois difficile pour nos farmers de les appliquer sachant qu’elles n’en tireront pas un revenu direct.

Cependant la création d’un agro écosystème fonctionnel leur permettra d’obtenir une production stable sur le moyen-long terme. Plus elles mettront en place des techniques permettant de préserver leurs sols et de favoriser la biodiversité, plus il leur sera facile de cultiver pendant la saison des pluies, et plus leurs jardins seront résilients face aux variabilités climatiques de plus en plus marquées.

Les problématiques évoquées ici ne sont d’ailleurs pas propres à la saison des pluies. L’érosion des sols, l’apparition de maladies et de ravageurs des cultures, la perte de biodiversité cultivée sont des problématiques globales, qui touchent l’ensemble des systèmes agricoles, et qui sont ici particulièrement révélées par la saison des pluies. L’alternance saison sèche/saison humide rend le Cambodge particulièrement vulnérable au changement climatique car cela signifiera plus de sécheresse en saison sèche et plus d’événements extrêmes en saison des pluies. Celle-ci est de plus en plus variable, augmentant l’incertitude pour les agriculteurs quant à ce qu’ils seront capables de produire.

Il est donc primordial de promouvoir des systèmes agricoles qui puissent faire face à ces enjeux, qui soient adaptés à la double saisonnalité mais qui soient également résilients face aux variabilités à venir. Pour être durables, ces systèmes se doivent d’être agroécologiques, c’est-à-dire de reposer sur des processus naturels et une observation attentive de l’environnement, et cela aux antipodes des modèles d’agribusiness occidentaux.